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journée mondiale des réfugiés, Une lumière dans le noir

A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, Sahar Rezai, jeune Afghane chrétienne habitant aujourd’hui à Sion, nous partage l’un de ses textes. Autobiographique, il raconte un court moment du long voyage qui l’a menée, elle et sa famille, d’Afghanistan jusqu’en Suisse.

 

 

Une lumière dans le noir

Je suis obligée de quitter ma maison. Je vois la tristesse dans les yeux de ma mère et de mon père. Mais je ne peux pas soulager leur chagrin et je suis comme une lourde valise sur leur dos. L’insécurité, c’est comme un fléau. Ma mère ne se souvient plus de cette nuit-là. J’étais brûlée dans le lit par la fièvre et à cause de l’insécurité, elle ne pouvait pas m’emmener à l’hôpital. J’ai perdu la santé pour toujours. Je ne peux plus marcher.

 

Des milliers de personnes, comme moi, sont brûlées dans l’insécurité de la guerre et elles n’ont pas vu la couleur du calme. Elles ont été forcées de quitter leur maison. Il y n’avait personne comme moi, émigrée et handicapée. J’y pense toujours et je me demande ce qui est arrivé à mon pays, l’Afghanistan ! Est-ce à cause de l’ancienne malédiction des dieux ? Parce que ce pays leur appartenait ? Il y avait là les plus grands Bouddha existants qui ont été effacés par l’avènement de l’islam. Je pense que la colère du Bouddha a détruit ce pays. Il y a tant de personnes innocentes dans le sol sanglant, à qui la faute ? Est-ce l’islam, une malédiction du Bouddha, l’ignorance des gens ou la richesse de son sol qui ont meurtri mon pays ? Des milliers de questions sont sans réponse dans mon esprit.

 

Nous avons traversé des passages dangereux. Faim, soif, fatigue, stress et panique nous accompagnent dans notre voyage. Enfin, neuf jours plus tard, nous passons à pied la frontière du Pakistan et nous entrons en Iran. Nous marchons toujours, le chemin est long, et arrivons à la frontière de Bazargan.

 

Les contrebandiers nous emmènent dans une chambre froide et sombre avec d’autres voyageurs. Ils conversent entre eux sur la frontière entre l’Iran et la Turquie. Mon corps est terrifié. Est-ce qu’à cause de moi, tout va mal se passer pour ma famille ? Si nous ne pouvons pas quitter ce chemin, que faisons-nous ? Est-il possible de ne pas se rendre en Turquie, de l’autre côté de la frontière, malgré le fait que nous avons laissé beaucoup de difficultés derrière nous ? Malgré le fait que ma peau, étirée sur la terre, est traversée de plaies sanglantes ?

 

Il faut être patient, attendre et s’engager dans les mains du destin. Le ciel s’assombrit. Ma mère prie, mon père est inquiet. Mon cœur compatit pour mon frère et ma petite sœur. Si quelque chose leur arrive, que peut-on faire ? Mon père s’apprête à me porter sur son dos. Oh mon Dieu, j’aimerais ne pas être avec eux. Je souhaite que mon destin soit autre, mon père est forcé de porter mon corps dans la nuit, dans la neige et dans la boue. Dieu, pourquoi les autres doivent subir mon problème !? J’ai peur de mettre leur vie en danger. Nous sommes plus lents, peut-être vont-ils nous laisser seuls, partir sans nous. J’ai un mauvais pressentiment. Le passeur nous appelle et dit : « Préparez-vous, on y va ! » Tous mes membres tremblent. Mon cœur s’emballe. C’est très dur de contrôler mes larmes mais je ne veux pas qu’ils comprennent que j’ai peur.

 

Mon père me prend sur son dos, on continue à marcher. Je regarde autour de moi, je ne vois que les ténèbres de la nuit. Je suis au bord du gouffre. Je n’ai plus d’espoir. Des gouttes de pluie me fouettent le visage. Je cache alors mon visage derrière mon père. Il respire vite, le chemin est long, je suis lourde pour son dos. Il est fatigué. Je vois les gens qui courent, se dépêchent, et le passeur avec un chapeau noir, de longues bottes et un gros bâton. Il frappe tous ceux qui ont pris du retard, mais il ne nous fait rien. Il sait que mon père fait de son mieux pour ne pas les retarder. Je sens que mon père ne peut pas continuer. « S’il te plaît attends un peu, prends du repos ! » Il répond : « Nous serons en retard ! On risque de se perdre et d’être pris au piège par les gardes-frontières iraniens, tout sera terminé ! ». La pluie fait de la boue partout et elle tombe sur mon visage. Je m’énerve. On porte toute notre vie dans deux sacs à dos seulement.

 

Mon père ne peut pas continuer. Il prend un peu de repos. En un instant, les gens s’éloignent de nous et nous les perdons. Nous sommes seuls. Nous regardons au loin et nous avons peur. Ah mon Dieu, il n’y a plus personne ! On entend au loin la voix des loups, terrible terreur dans nos corps. Le vent qui secoue les branches des arbres, comme des fantômes. Je pense que nous sommes à la fin du chemin et que nous arrivons à la mort. Mon père est en train d’appeler, va d’un côté à l’autre pour voir s’il y a quelqu’un. Ma mère lui dit que nous devrions nous coucher, parce que les gardes-frontières pourraient nous voir. A cause du froid, nos vêtements sont collés, glacés sur la terre ; nos visages sont couverts de boue. Pendant trois heures, nous restons immobiles. Je me sens très somnolente, mais ma mère est fâchée contre moi, ma sœur et mon frère. Elle dit que si nous dormons, nous ne nous réveillerons jamais. Nous pleurons, ma petite sœur dit à ma mère : « On va mourir là ? ». Ma mère répond : « Cela n’arrivera pas, ne perdons pas espoir ! ».

 

Mon père dit : « Ne pleurez pas ! J’entends le bruit d’une voiture. Nous sommes proches de la route. » Nous devons aller sur la route, mais très lentement et en rampant. La surface de la route est haute, nous nous cachons en contrebas. Je dis à mes parents : « Laissez-moi ici parce qu’avec moi vous ne pouvez pas continuer votre chemin ! ». Ma mère répond : « Ne dis jamais ça ! Si nous mourons, nous mourrons tous ensemble ! Si nous sommes sauvés, nous serons sauvés tous ensemble ! ».

 

Soudainement, nous entendons le son de freins. Nous avons très peur que les gardes-frontière nous trouvent. Nous ne respirons plus. Mon père dit : « C’est fini, ils vont nous arrêter, nous ramener sûrement en Afghanistan, où de terribles choses nous attendent ! ». Nous attendons désespérément que les gardes-frontières viennent nous emmener…

 

Mais soudain une voix forte dit : « Nous vous avons entendu ! ». La voix est familière à mes oreilles, c’est celle de notre passeur. Nous pleurons tous de joie. Mon père crie : « Nous sommes ici ! ». Il court, avec quelqu’un d’autre, et dit : « Ne vous inquiétez pas, montez dans la voiture ! ». Je tombe comme un corps sans mouvement dans un coin. Ils prennent mes bras et mes jambes, montent dans la voiture. Nous partons rapidement et quelques instants plus tard nous arrivons en Turquie.

 

Nous continuons notre voyage, mais nous sommes toujours sur la route et le chemin est long.

 

tableaux de Sahar