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Forains et voyageurs, plongée dans un monde méconnu

Forains et voyageurs sont parfois cousins, pas toujours. Dans le monde souvent méconnu des itinérants suisses se croisent en effet des populations diverses. Leur point commun : l’appel à toujours reprendre la route, à travers toute la Suisse, pour exercer leur métier auprès de leurs clients. Coup de projecteur sur une réalité méconnue.

Saviez-vous que les Yeniches sont près de 30’000 en Suisse ? Environ 3000 sont encore itinérants aujourd’hui. Gerzner, Kalbermatter ou Birchler sont autant de noms de famille typiques de ces citoyens suisses valaisans, vaudois ou suisses alémaniques, souvent bilingues et dont le français prend des accents rappelant le Jura Bernois. Leurs métiers traditionnels sont l’aiguisage de couteaux, la brocante, la récupération de ferraille et de métaux. Beaucoup d’entre eux se sont aujourd’hui entièrement sédentarisés, pour des questions d’âge ou pour permettre à leurs enfants une scolarité plus facile que par correspondance. D’autres quittent leur logement au mois de mars, quand la route les appelle, pour les quelques places de stationnement qui accueillent les caravanes en Suisse ; ils y reviennent au mois d’octobre ou novembre. D’autres encore vivent en caravane toute l’année. Souvent très bons musiciens, on les retrouve notamment dans les groupes de musique folklorique alémanique. Et le célèbre chanteur suisse Stéphane Eicher fait honneur à ses origines yeniches.

Leur mode de vie, non conventionnel, n’est reconnu officiellement que depuis quelques années. Ainsi, lors des placements forcés, de 1926 jusque dans les années 1970, les enfants yeniches ont été souvent séparés de leurs familles, pour des foyers ou des familles d’accueil. Difficile à l’époque – encore aujourd’hui ? –, pour de nombreux sédentaires, de comprendre le mode de vie des « gens du chemin » ! Ayant durant des décennies choisi l’invisibilité, moins dangereuse, les Yeniches revendiquent aujourd’hui leur identité et leur citoyenneté. Suisses depuis toujours, ils sont reconnus aujourd’hui comme une minorité nationale. Leur lutte porte aujourd’hui sur les places où stationner leurs caravanes pour y séjourner quelques semaines. Elles manquent cruellement en Suisse.

Les Yeniches sont souvent croyants, en majorité catholiques ou évangéliques. L’aumônerie suisse des gens du voyage partage et accompagne leur chemin de foi, sur les places comme au pèlerinage annuel à Einsiedeln au mois de juillet. La présence de notre évêque diocésain, + Jean-Marie Lovey, y est chaque année fort appréciée. C’est lui en effet qui représente la Conférence des Evêques Suisses auprès des gens du voyage. Toujours sur la route, les voyageurs nous invitent à nous faire pèlerins, à ne pas nous installer trop confortablement au risque de nous laisser scléroser.

Quant aux forains, on y retrouve plutôt des noms tels qu’Ostertag, Uhlmann ou Adolf. Au service de la joie des enfants et de la saveur de nos papilles, ils sillonnent habituellement nos festivals, fêtes foraines et kermesses avec leurs crêpes, leurs barbapapas et leurs autos tamponneuses. Forains et voyageurs ont été durement frappés par la crise COVID, perdant leurs moyens de subsistance avec l’annulation des grands événements, la fermeture des restaurants et l’interdiction du porte-à-porte. Grâce à la Chaîne du Bonheur, quelques associations et fondations – dont la Fondation Pape François par exemple – ont pu leur amener une aide concrète ; et la pandémie a permis des rencontres belles, vraies, avec ce monde de l’itinérance souvent méconnu. Même si elle reste limitée et ponctuelle, l’aide apportée est précieuse. Elle a valeur de symbole : Yeniches et forains ont toute leur place dans notre société.

par Joëlle Carron