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Rencontres en prison – Au coeur de leur nuit
«Dans la cellule suivante, une vieille connaissance m’attend. André est là depuis plus de sept mois. On s’est déjà rencontrés une quinzaine de fois.
Il est seul. Dans sa cellule, il a déjà vu défiler plusieurs autres personnes. Elles sont reparties. Mais lui, il est toujours là.
Il me tend les papiers que le tribunal lui a envoyés. Chaque trois mois, c’est le même rituel. Il est emmené menotté jusqu’à la ville pour voir le juge. Celui-ci lui ajoute trois mois de détention supplémentaires qu’il ne finira pas en cas de renvoi. Il me fait lire le document. Il n’y comprend rien. Ce n’est pas dans sa langue. Il a déjà été emmené une fois à l’aéroport pour être expulsé. Arrivé là-bas, il a dû rencontrer le pilote de l’avion. C’est lui qui évalue si le passager est un risque pour son vol ou non. Si le pilote a le moindre doute sécuritaire, le détenu est renvoyé à la prison.
Il sait ce qui l’attend pour la suite. Au deuxième vol, il sera attaché et encerclé par les forces de l’ordre. A l’aéroport, il devra mettre plus de force pour éviter le renvoi. Il devra crier, s’agiter et faire peur aux autres passagers. Alors il sera à nouveau ramené en cellule. Le troisième vol sera par contre définitif. Ça sera un vol spécial. Il sera seul dans l’avion, attaché, bâillonné, entouré de forces de sécurité. Il ne pourra pas bouger d’un centimètre. Aucune échappatoire.
Il en a l’angoisse rien que d’y penser. Il préférerait se suicider plutôt que rentrer chez lui…
Son histoire je la connais. Je crois qu’il ne me ment pas lorsqu’il me la partage.
Il m’a raconté son homosexualité. Les menaces dans son village. Quelques amis qui lui ont donné leurs économies pour qu’il puisse fuir. Il a pleuré en me parlant de ses compagnons de route morts dans la traversée du Sahara. Il n’a pas osé parler de la Lybie. Il m’en a juste montré les traces.
Il a encore pleuré en me racontant la traversée de la Méditerranée, les nuits d’angoisse sur le bateau pneumatique, les camarades qui chutent à l’eau et qu’on ne revoit plus. Il m’a expliqué son travail en Italie du Sud pour quelques euros par jour. Il m’a surtout dit la chance de ne pas avoir été une femme dans ces moments-là. Puis, il m’a dit son voyage jusqu’à la Suisse et son soulagement d’avoir atteint le centre de requérants d’asile. Il avait enfin le sentiment d’être en sécurité et d’être arrivé vers une vie possible, vers une vie normale.
Et puis, il y a eu le refus. Il n’a pas obtenu l’asile. Son pays n’est pas en guerre. Son récit n’a pas convaincu. Il n’est pas suffisamment en danger de mort, si on le renvoie chez lui.
Il a fait recours. Ça n’a pas fonctionné.
Sa vie s’est alors brutalement arrêtée. Sa seule lueur d’espérance s’est envolée définitivement ce jour-là. Quelque chose s’est éteint en lui.
Après tout ce voyage, le voilà en prison.
Son récit n’est pas un cri isolé. C’est un cri, un de plus qui résonne dans la nuit. Un cri qui vient nous déranger et qui doit nous déranger. Au risque sinon d’y perdre notre humanité.»
Jeff Roux, aumônier en prison, partage son vécu dans les établissements de détention administrative et pénale du Valais. Au cœur de ses rencontres avec les personnes détenues, il découvre un trésor de vie, comme cet homme en paix au milieu de la tempête de son existence. C’est elles qui le font aumônier, acceptant de recevoir ce qu’il était venu apporter. Un appel à quitter nos propres enfermements, en consonnance avec la récente visite du pape François à Marseille.
Joëlle Carron
Rencontres en prison. Au cœur de leur nuit, Roux Jeff, Editions Saint-Augustin, 2023
En savoir plus et vidéo sur la page du livre chez l’éditeur: «Trouver sa liberté intérieure en prison», Pierre Pistoletti