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Du balai au calice

Deux journées d’immersion au sein de l’équipe de la voirie de Sion. Pour écouter, partager, vivre avec, comprendre, et surtout écouter le Christ me faire signe à travers une population indispensable à la propreté de la cité, et pourtant souvent peu considérée. Ma manière à moi d’incarner le synode voulu par le Pape… Alors on improvise ! Me voici balayeur de rues stagiaire à l’essai, (et prêtre incognito), sous la surveillance d’Alain Follonier, mon maître de stage. En arrivant tôt le matin au dépôt de la voirie, j’aperçois une « marée orange » composée d’hommes uniquement qui, au signal, va se couler par vagues successives dans les rues de la cité pour les rendre impeccables.

 

Flanqué à mon tour du gilet orange, les poignées d’un imposant tombereau entre les mains, vide et léger pour l’instant, nous voici en route vers le quartier de Saint-Guérin. 20 kilomètres à parcourir durant la journée et sous 32 degrés annoncés !

 

Alain, la conscience droite, un zeste perfectionniste, presque deux fois ma taille, m’adjure : « Ne laisser traîner aucun mégot (des milliers jonchent les rues), faire la guerre aux papiers, aux plastiques, aux cannettes, au verre, et même aux pives…, pour éviter le moindre petit obstacle à nos grand-mamans ou mal-voyants ». Et sans oublier de vider des craquées de poubelles dont l’odeur pestilentielle vous prend à la gorge, balayer, gratter, râteler, arracher, nettoyer ces trottoirs comme on lave son âme de toutes ses scories.

 

A maintes reprises mon mentor me rappelle la règle d’or du balayeur : « Les yeux toujours tournés vers le sol et jamais vers le ciel ! » Très drôle pour un prêtre…

 

Alain, un joyeux pinson du matin au soir, qui accomplit son travail consciencieusement et de bon cœur, ce qui lui attire de belles reconnaissances de certains passants, au nom de tous ses collègues : « Merci pour ce que vous faites ! Bravo ! Courage, il fait chaud ! », j’en suis témoin.

 

Lors de la pause bienvenue, Alain sort de sa poche un billet écrit, sa philosophie tirée de Martin Luther-King : « S’il t’a été donné d’être balayeur de rues, balaie les rues comme Michel-Ange peignait, comme Beethoven composait, comme Shakespeare écrivait. Balaie si bien les rues que tous les hôtes des cieux et de la terre s’arrêteront et diront : Ici vécu un grand balayeur de rues qui fit bien son travail. »

 

A la fin de la journée, en saisissant le calice lors de la célébration de la messe, je sens une douleur dans mes mains, souvenir du balai qui a dansé énergiquement entre mes paumes, toute la journée. Le balai, le calice…, le don, le service des autres, jusqu’au sacrifice d’une vie…, le sang versé du Christ qui rassemble cette multitude d’hommes et de femmes dans l’humble service des autres. Lui « qui s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, pour devenir semblable aux hommes. » (Ph 2). Oui, il était bien présent dans les rues et dans la sueur de ces travailleurs… Si j’ai accepté d’écrire cet article, c’est en guise de reconnaissance pour tous ces hommes et ces femmes de l’ombre dont le service est un don précieux fait à l’humanité.

 

 

Abbé Joël Pralong